Lot 116
RARE TENTURE EN BROCART DE SOIE REPRÉSENTANT LE PARADIS BOUDDHIQUE, Chine, dynastie Qing, époque Qianlong (1736-1795)
Adjugé 28 864 €
Finement tissé en fils d'or et de couleur, il représente le paradis bouddhique :
de haut en bas, le soleil et la lune, deux groupes de quatre apsaras portant des offrandes, trois bouddhas du passé, du présent et du futur (Bhaisajyaguru, Sakyamuni, Amitabha), les disciples les plus proches de Bouddha (Mahakashyapa et Ananda), et enfin les dix-huit luohan et quatre rois célestes (Si Da Tian Wang 四大天王). Une inscription Wu Liang Shou Zun Fo « Amiytayus, Bouddha de la vie éternelle » est placée dans la partie supérieure. Les bordures sont tissées d'une frise de fleurs avec des accrocs et des déchirures horizontales.
L. : 143 cm (56 ¼ in.)
L.: 70 cm (27 ½ in.)
« Bouddha, l'expérience du Sensible »
Lyce Jankowski, co-commissaire de l’exposition, nous en parle
Du 21 septembre 2024 au 20 avril 2025, le Domaine et Musée royal de Mariemont propose une immersion profonde et inédite dans l’univers du bouddhisme.
Au-delà d’une simple mise en lumière de l’histoire de cette religion et de sa diffusion en Asie, ces œuvres sculpturales provenant du monde chinois, tibétain et japonais, ne sont pas que présentées pour leur valeur artistique mais aussi cultuels. Quand l’art rencontre le sensible, les œuvres de bouddhas et boddhisattvas reprennent vie au contact d’un public qui se familiarise avec les pratiques du culte.
Les commissaires ont donc imaginé une scénographie en forme de parcours initiatique, le public devenant acteur et plus simplement observateur. Cette exposition donne l’occasion aussi de s’intéresser à la fascinante histoire des collections bouddhiques de Raoul Warocqué, qui ont donné lieu à de nombreuses redécouvertes lors d’une étude approfondie conduite dans les réserves du musée.
Lyce Jankowski, co-commissaire de l’exposition, sinologue, numismate, conservatrice de la section des Arts extra-européens au Domaine et Musée royal de Mariemont nous en parle !
Bouddha est une figure iconique depuis l’Asie jusqu’à nos sociétés occidentales, où les significations qu’on lui porte sont multiples : il peut être à la fois symbole d’une Asie spirituelle et idéalisée ou simple élément décoratif. Pourriez-vous nous expliquer la genèse du projet ?
Le projet est né lors de la réorganisation de nos réserves. Au cours de travaux de déménagements, souvent profitables pour étudier nos collections, nous avons pu redécouvrir des statues bouddhiques qui avaient été placées en réserves depuis 60 ans. Depuis tout ce temps, elles sont restées dans l’ombre, jamais exposées au public et publiées. Cette collection méconnue méritait qu’on puisse s’y intéresser pour la présenter dans le cadre d’un grand événement. Ce projet s’alignait avec la reconnaissance du bouddhisme en Belgique comme philosophie non confessionnelle, événement couramment évoqué par la presse. Il nous a ainsi paru intéressant de présenter le Bouddhisme au grand public pour donner des clés de compréhension.
©Musée royal de Mariemont
Vous avez choisi d’inclure un dispositif scénographique participatif pour pénétrer l’univers du Bouddhisme. Pouvez-nous dire en quoi il consiste ?
Cette religion recouvre de nombreux concepts métaphysiques complexes, incluant notamment des termes en sanscrit. Nous nous sommes efforcés de faire vivre certains de ces concepts qui sont centraux dans le Bouddhisme pour pouvoir mieux les assimiler. Un exemple : le concept d’impermanence que l’on fait vivre au visiteur par une invitation à tracer à l’eau le mot «vacuité», et qui disparait très vite une fois le tracé réalisé. Cette expérience permet de saisir, ressentir le peu de pérennité de toutes choses, le caractère très temporaire de l’existence. Nous avons également intégré des témoignages individuels de pratiquants belges du Bouddhisme. Ceux-ci contribuent à compléter des définitions théoriques et conceptuelles par des définitions beaucoup plus personnelles.
©Musée royal de Mariemont
Pourriez-vous évoquer justement la collaboration que vous avez eu avec ces communautés locales ?
L’exposition a été développée sous la forme d’un commissariat participatif, une démarche très à la mode, appelée en anglais « A Community base curation ». Nous avons la chance d’avoir des pratiquants du Bouddhisme sur le territoire belge qui peuvent nous parler directement de leur expérience, nous faire part de leurs témoignages. Nous avons en outre souhaité les associer à l’élaboration de l’exposition. Ainsi, un vénérable nous a indiqué qu’un reliquaire ne pouvait être placé en dessous d’une statue ou d’un élément décoratif : il convenait de le présenter au-dessus des autres pièces, puisqu’il contient des restes humains. Nous avons donc pu respecter grâce à ces échanges la hiérarchie entre les objets.
Bodhisattva Avalokiteshvara à onze têtes,
Tibet, 19e,
détrempe sur toile (thangka),
collection Verbert
(CC BY-MRAH-© Image Studio Musées royaux d’Art et d’Histoire, Bruxelles)
L’exposition rassemble une centaine d’œuvres conservées dans les collections extra-européennes dont vous avez la charge au musée. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’histoire et le contexte de la formation de ces collections asiatiques ?
La collection du Domaine et musée royal de Mariemont a été rassemblée par un riche industriel belge, Raoul Warocqué (1870-1917), passionné d’art, qui achetait tant des œuvres égyptiennes, gréco-romaines, que chinoises. Il avait été envoyé à la cour chinoise des Qing en mission diplomatique pour annoncer l’avènement du roi Albert 1er, avant de se rendre au Japon. Comme ce fut le cas pour Henri Cernuschi, ou encore Emile Guimet, il fera l’acquisition de nombreuses œuvres chinoises et japonaises, toutes données à l’Etat belge en 1917. En raison d’un manque de connaissance sur ces civilisations, les premiers conservateurs responsables de ces collections n’arrivaient pas à faire la distinction entre les œuvres japonaises et chinoises. Beaucoup ont été mal cataloguées, considérées comme des productions destinées aux touristes à la fin du 19ème siècle, alors qu’il s’agissait d’œuvres majeures de l’art asiatique. En préparant l’exposition on s’est aperçu que beaucoup de pièces étaient beaucoup plus anciennes que ce que l’on imaginait. Une des grandes redécouvertes l’exposition fut celle de la grande statue d’Avalokitésvara qui mesure 5m50 et qui n’était pas japonaise mais bien chinoise et ne datait pas de 1910, mais de l’époque Ming, période Wanli (1563-1620).
Bodhisattva Maitreya (détail),
Gandhara (Pakistan),
2e - 3e siècle,
schiste,
acquis en 1967
(©Musée royal de Mariemont)
Justement, une étude de provenance de cette grande statue vous a conduit au célèbre marchand d’art asiatique C.T. Loo, à l’origine de la construction de la Pagode de Paris.
En effet, la statue, constituée de trois parties, a été importée en Europe par le grand marchand C.T Loo qui la présente en 1913 au musée Cernuschi à l’occasion d’une exposition consacrée aux arts bouddhiques. En 1914, cette statue n’avait toujours pas trouvé d’acheteur, sans doute en raison de la taille et de son poids, et bien entendu de son prix. D’ailleurs, elle était accompagnée de deux autres figures de personnages priants qui ont été acquis séparément par d’autres collectionneurs, et dont nous n’avons plus retrouvé la trace. Warocqué, plus riche que le roi des Belges et dont la réputation de grand collectionneur était déjà bien établie, se rendait fréquemment à Paris pour enrichir son patrimoine, comme ce fut le cas pour l’acquisition de cette statue.
Bodhisattva Avalokiteshvara aux mille bras et aux mille yeux, Chine,16ème siècle, bronze, legs Warocqué 1917
(©Musée royal de Mariemont)
Quelle œuvre vous tient particulièrement à cœur ?
En construisant l’exposition on développe forcément un lien personnel avec chacune des œuvres. J’ai une affection particulière pour le « Bouddha rieur » ou « Bouddha de la chance », gros bouddha très caricatural et familier. J’avais au début quelques réserves quant à la qualité de cette pièce redécouverte au fond d’une des réserves. Mais en l’observant de plus près, et surtout en le comparant avec d’autres pièces, je me suis rendu compte que c’était une œuvre exceptionnelle tant par la qualité de la fonte que par le modelé fin et très expressif du visage. Enfin, l’identification était erronée. Ce n’est pas Budai, moine errant vénéré dans le bouddhisme Chan, mais, puisqu’il porte une couronne, Maitreya boddhisattva de la compassion, son corps de jouissance attendant de se réincarner sur terre. A force de le contempler, j’ai développé une véritable sympathie et tendresse pour cette pièce que j’ai appris à apprécier avec le temps.
Maitreya couronné,
Chine,
17e,
bronze, traces de dorure,
legs Warocqué 1917
(©Musée royal de Mariemont)
Revenons-en à vous. Pouvez nous décrire votre parcours académique et votre domaine de spécialité en numismatique d’Asie orientale ?
Je suis numismate et historienne de l’art chinois. J’ai travaillé sur les collectionneurs de monnaies, domaine pour lequel j’ai développé un grand intérêt sur les questions de provenance et de circulation des objets. A terme, j’aimerais beaucoup faire l’étude complète de la collection numismatique de Raoul Warocqué. Depuis que j’ai commencé à travailler au musée royal de Mariemont, je me suis prise de passion pour les arts asiatiques de cette collection. C’est à mon sens un exemple parfait pour comprendre comment les arts d’Asie sont compris et collectionnés à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle. J’ai par exemple étudié la présence des bronzes chinois qui sont des objets de lettrés en Chine pour voir comment ils étaient intégrés dans les intérieurs de demeures belges.
Avez-vous des projets en cours pour valoriser encore les collections asiatiques du musée ?
Le projet sur lequel nous travaillons en ce moment c’est l’inventaire des porcelaines d’exportation chinoises qui représentent un fonds très important avec plus d’un millier de pièces. A ce jour, il n’a jamais fait l’objet d’une étude exhaustive. Je souhaite développer mes recherches en ce sens en vue d’une publication qui associera des spécialistes internationaux du domaine. D’autre part nous refaisons notre parcours permanent dans lequel la Chine est prédominante et qui éclipse totalement la Corée et le Japon. On réfléchit à une revalorisation des collections japonaises qui sont beaucoup plus fragiles puisqu’il s’agit surtout de laques ou d’estampes ne pouvant donc être exposées sur de très longues périodes.