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Jean-Baptiste Clais, conservateur au Département des Objets d’Art du Musée du Louvre

Ethnologue et conservateur au Musée du Louvre, Jean-Baptiste Clais est chargé des collections asiatiques et des porcelaines au sein du Département des Objets d'Art.

 

Lors de cette 6ème édition du Printemps Asiatique, nous aurons le plaisir de le retrouver à l’occasion d’une table-ronde organisée en partenariat avec l’Asia Society sur le thème des relations entre la Cour de France et de celle de Chine, sous l'angle de l'histoire des idées et de la géopolitique.

Rendez-vous le mercredi 7 juin prochain à la Bibliothèque nationale de France ! 

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Focus sur le parcours de Jean-Baptiste Clais, ses projets ou encore ses coups de cœur artistiques afin d’en apprendre plus sur les collections asiatiques du plus grand musée du monde.

Vase cylindrique (Pi-tong),

Chine,

© 2021 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle,

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Pour commencer, pourriez-vous décrire votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a amené à l’Asie ?

Mon parcours a commencé par un cursus à l'École du Louvre en 1er cycle puis en muséologie. J'ai parallèlement mené des études d’ethnologie à l’Université Paris V, à l’issue desquelles j’ai obtenu un doctorat d’anthropologie sociale et politique. 

Je suis venu à l'Asie par une série de circonstances, un goût qui s'est développé progressivement, d'abord via le Japon, la Chine est arrivée ensuite. 

Mes recherches se sont d’abord tournées vers la pop culture contemporaine (jeux vidéo, mangas, dessins animés, science-fiction). Le Japon occupant une place très particulière dans ce domaine, assez centrale en fait, j'avais donc une familiarité avec l’Extrême-Orient. C’est ce qui m'a amené à travailler quand j’étais au musée Guimet à la fois sur la Chine et sur des projets annexes. Mon activité principale était donc sur la Chine, essentiellement sur la porcelaine d’époque Qing, mais j'ai pu faire une petite exposition dédiée aux mangas au musée Guimet (Voir) et une grande exposition sur l'histoire des jeux vidéo au Grand Palais en 2010 (Voir).

Mon premier poste au Louvre était au département des arts islamiques où j’étais chargé de la collection d’armes. Il s’agissait essentiellement de la période moghole, qui m'a passionné (et sur laquelle je travaille toujours). 

Vous êtes maintenant conservateur au Département des Objets d’art, pourriez-vous nous parler de vos missions au sein du Musée du Louvre?

Au Musée du Louvre, je suis un conservateur parmi une soixantaine d'autres. J’ai pour ma part intégré le département des Objets d'art où je suis chargé des collections asiatiques et des porcelaines. 

Ce sont deux sujets qui ont un lien très fort l'un avec l'autre dans la mesure où le développement de la porcelaine en Europe est une réponse directe et très immédiate à l'importation massive de porcelaines asiatiques. Cette importation coûtait énormément d'argent (la balance commerciale avec la Chine était terriblement déficitaire pendant plusieurs siècles). Par conséquent, partout en Europe, on observe un développement de manufactures de porcelaine, car ce produit de luxe permettait de générer des revenus considérables. Peu ou prou, tous les pays d'Europe vont créer leurs manufactures. Non sans difficulté : la technique développée par les Chinois et les Japonais était très très difficile à percer. Ce que le grand public ignore en général c’est que la porcelaine nécessite une très haute technologie : températures de cuisson très élevées, chimie des émaux très complexe... 

L'Europe développe donc cette industrie et s'inspire considérablement de la Chine pour ses décors, ce que l’on nomme la chinoiserie. Il y a donc une continuité entre les collections asiatiques du département qui sont essentiellement du XVIIIe siècle et les sujets d'art décoratif, très très fortement marqués par les chinoiseries. Vous ne pouvez clairement pas vous promener plus de 5 mètres dans les salles XVIIIe du département sans tomber sur une chinoiserie ou un objet avec une composante asiatique. 

De manière générale, l'Asie est une clé de compréhension fondamentale de l'art de vivre à la française au XVIIIe siècle.

Aiguière en jade gris,

Anonyme,

Lieu de création : Chine,

© 2018 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle,

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Selon vous, quelle place occupe le Musée du Louvre dans le monde des arts asiatiques ?

Pour l'instant, une place restreinte. Très clairement, l'optique de notre présidente, Laurence des Cars, est de mettre l'accent très fortement sur la notion du Louvre comme musée universel. Il y a donc un soutien très fort de la direction aux différents projets consistant à valoriser les collections asiatiques, et de manière générale les collections extra européennes du musée. 

On peut citer récemment la très belle exposition « Venus d'ailleurs » qui insistait sur les matériaux voyageurs. Elle a été réalisée par Philippe Malgouyres, mon collègue au département des Objets d’art. Cela me permet d'insister sur le fait que notre département est probablement l'un de ceux (avec les Arts de l'Islam) qui pour la période moderne a la composante extra européenne la plus marquée. On trouve évidemment au Département des Peintures, des formes de présence de l’Asie par des représentations de porcelaines chinoises (notamment dans les natures mortes hollandaises), mais néanmoins c'est clairement notre département qui compte le plus d'objets extra européens ou d'objets inspirés par l'Asie.

Avez-vous une estimation du nombre d'objets asiatiques que comprend le Département des Objets d’Art ?

Environ 600. Le compte étant subjectif : est-ce que vous l’on compte ou non une à une les pages d’un album chinois… 

C’est un chiffre à peu près équivalent avec la même petite incertitude pour les objets indiens du Département des Arts de l'islam…et je ne compte pas les objets de chinoiseries. Ils sont beaucoup plus nombreux.

Pour les chinoiseries, si vous comptez les faïences qui comportent un décor asiatique j'imagine qu'on en a plus d'une centaine. Mais si vous commencez à chercher dans ces mêmes faïences les formes asiatiques ou si vous considérez que tous les objets à décor bleu et blanc sont par définition inspirés des bleu et banc asiatiques, au moins dans leur tonalité : là vous êtes sur plusieurs centaines. 

La définition de l'influence asiatique est relative : à partir de quand, un décor devient tellement absorbé qu'il n'est plus inspiré de l’Asie ? L'influence asiatique va être ingérée considérablement, donc certaines formes et certains décors vont faire partie pleinement du répertoire décoratif occidental. Il est très difficile de définir les limites exactes à la collection de chinoiseries ou à ce que peut être l'influence asiatique. Mais elle est extrêmement présente : on peut vraiment en trouver un peu partout dans les différentes salles.

Pourquoi un amateur d’art asiatique devrait visiter les collections du Louvre ?

Je pense qu'il y a quelque chose d'assez ludique dans nos collections. Un amateur d'art asiatique, notamment prioritairement de porcelaines ou de laques pourra en trouver un peu partout : il y a un côté jeu de piste. Or, même si on a signalé dans nos cartels ces composants asiatiques, il est vrai que leur taille ne nous permet pas systématiquement de faire l’exégèse des décors “asiatisants” qui sont présents sur nos œuvres. Il y a donc bien quelque chose de très ludique à venir visiter nos salles pour un amateur d'Asie, à voir dans telles ou telles pièces l'influence d’un style particulier. Quelqu'un qui aime bien le bleu et blanc par exemple, verra une assiette de faïence de Delft imitant parfaitement un kraak*. 

*Kraak est le nom des porcelaines d'exportation bleues et blanches chinoises que l’on trouvait notamment au XVIIe siècle. 

On peut retrouver par exemple un motif inspiré d'un décor de scène de roman chinois présent sur un vase, mais repris sur un objet occidental, mélangé avec d'autres décors. Quelqu'un qui connaît bien l’Asie peut retrouver une forme de bouteille à double gourde tout à fait caractéristique…

Il y a vraiment quelque chose d'amusant à venir chercher avec son œil “d'asiatisant” ces objets occidentaux, ces influences d'Asie plus ou moins bien comprises, parfois très bien, parfois très mal.

Coupe à décor, feuilles et caractères chinois ; deux petites anses formées par des enroulements végétalisés,

1800 / 1900 (XIXe siècle),

Chine,

© 2016 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle, Voir

Y a-t-il une œuvre au Louvre que vous trouvez particulièrement intéressante, mais dont vous trouvez que les visiteurs ne s'y attardent pas assez ?

Il y a le bol Ming blanc incrusté d'or, qu'on ne repère pas toujours à vue d’œil. Il porte une marque Ming en dessous. Ce bol semble être juste un bol blanc. Ce qui est très intéressant est que ce bol est manifestement parvenu en Europe de manière très ancienne et s'est transmis dans des collections aristocratiques. Au XVIIIe, il a manifestement été racheté par un marchand-mercier qui l'a fait embellir par des incrustations d'or massif. C’est donc un objet qui montre à la fois le goût de la chinoiserie, l’hybridité. Les incrustations représentent des décors asiatiques : l'origine asiatique du bol était donc indiscutable pour les gens qui l'ont utilisé (d'autant plus qu'une marque impériale Ming se repère bien même si on ne sait pas la lire à l'époque). 

Cet objet est présent dans une vitrine dédiée à cette technique où l’on retrouve aussi le nécessaire à thé du régent. Il s’agit donc d’un objet extrêmement important. Cette vitrine manifeste la présence de l'Asie au plus haut de la société aristocratique française et en même temps reste discrète parce que l'on ne repère pas ce bol faute de ne pouvoir distinguer sa marque impériale chinoise. Finalement, il y a à la fois une présence de l'Extrême-Orient par le décor asiatisant et une disparition du matériau qui est comme digéré par cette création. Ce recyclage est vraiment caractéristique du XVIIIe siècle français et du travail des marchands-merciers.

(5) CLAIS coupe à décor appliqué.JPG

Coupe à décor appliqué

1600 / 1800 (XVIIe siècle; 1ere moitié du XVIIIe siècle), Chine, atelier de Jingdezhen,

© 2022 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle,

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Votre musée favori ?

Le Victoria and Albert Museum : j’ai une affection particulière pour ce musée. Je pense qu’il fait un travail assez extraordinaire à partir de collections, elles-mêmes tout à fait considérables. 

Mes deux modèles sont probablement le Victoria and Albert Museum et le Rijksmuseum, pour tout le travail qu'ils font sur la question de la globalisation, sur la question de l'hybridation dans les arts décoratifs et de ce qui peut nous permettre de sortir de l’histoire des styles pour aller vers une histoire de la culture matérielle dans le monde des arts décoratifs . 

C'est-à-dire de poser la question de ce qu’est un intérieur. Un intérieur n'est pas nécessairement une succession de pièces créées à un instant donné dans un style homogène. Cela existe bien sûr, mais c'est aussi, assez souvent l’accumulation au fil du temps dans des pièces de beaucoup d'objets venus de loin que ce soit d'Asie ou d'ailleurs qui se retrouvent pour former le décor d'un lieu. Je pense que c'est très important de montrer cet aspect-là. 

Je crois que le Victoria and Albert Museum le fait très bien. Il me semble important de sortir de certaines formes de typologies fixées et d'une vision purement nationale de l'Histoire de l'art pour aller vers une histoire en contexte qui va s'attacher précisément à comprendre un moment. Il ne s'agit toutefois pas non plus de quitter une histoire nationale pour faire des généralités sur la globalisation. 

La globalisation est un merveilleux sujet, mais qui peut seulement être traitée sous l'angle d'une situation donnée à un instant donné : qu'est-ce qu'un intérieur français à Paris en 1730-1740 par exemple ? Qu'est-ce qu’un décor de château anglais au XVIIe siècle ?    Dans les deux cas on trouve des textiles indiens, des porcelaines chinoises, peut-être du mobilier d'export indien, chinois, japonais. Quel est le sens à chacune de ces périodes de la possession de tels objets ? A qui appartiennent-ils ? Qui peut se permettre de les posséder ? Quels sont les circuits d'arrivée de ces objets ? 

Toutes ces choses varient dans le temps : il y a donc tout un travail à réaliser de compréhension fine du sens que prennent ces objets dans la culture matérielle d'un moment. 

Le fait que nos collections asiatiques soient parties (pour une plus grande part) en 1945 pour le musée Guimet nous a privés d'un certain nombre d'objets de transition entre ces différents mondes qui nous auraient permis de mieux parler de ces sujets. 

Un ouvrage à recommander ?

Le catalogue de l’exposition “Encounters : The Meeting of Asia and Europe 1500 - 1800”. C’est une grande exposition qui a eu lieu au Victoria and Albert Museum il y a près de 20 ans. Je pense que ce catalogue est toujours la référence absolue pour quelqu'un qui veut comprendre ce qui se passe entre l’Europe et l'Asie à l'époque moderne. C'est un travail admirable que j'invite tout le monde à redécouvrir.

Votre dernier coup de cœur artistique ?

Il est pour la scène artistique pakistanaise contemporaine et l'école de miniaturistes de Lahore, autour des artistes formés au National College of Art (NCA). 

J'ai trouvé leur travail tout à fait extraordinaire. Il y en a de très connus bien sûr, mais ce qui m’a frappé c’est que les autres, moins connus, ne sont pas moins talentueux. Pour n’en citer que deux qui m’ont particulièrement touché : une jeune étudiante Maha Omer ou Tahira Noreen, une autre artiste pakistanaise extrêmement douée. Il faudrait en fait citer des dizaines de noms pour faire justice à la scène artistique pakistanaise. 

Ce qui m'a vraiment frappé c’est que ces jeunes artistes qui sortent de l'atelier de miniatures du NCA partent d’une technique ancienne, la miniature indo-persane pour créer des œuvres extrêmement diverses, tant figuratives qu’abstraites. On y retrouve les références (images, thèmes) de la peinture ancienne, mais aussi des œuvres qui parlent de la vie contemporaine. La technique de la peinture sur papier est le point de départ, mais les étudiants qui sont formés au travail de copie dans un premier temps s’émancipent et créent leur propre style. Certains se dirigent vers le thème floral, d’autres vers le portrait, d’autres vers le détournement d’images anciennes, d’autres encore vers la parodie ou au contraire la peinture de genre ou des formes d’abstraction nourries des détails de l’art moghol. C’est particulièrement divers, mais surtout c’est un art ouvert vers les gens. 

Travaillant depuis plus de quinze ans sur l’art moghol, pour moi, voir ces étudiants dans leur atelier polir le papier avec une agate ou un coquillage avant de dessiner et peindre dessus, c'est fascinant, c'est émouvant… Il y a dans cette scène artistique un enthousiasme, une richesse de technique et d'imagination que je trouve tout à fait extraordinaire. 

Ce qui me frappe particulièrement aussi c’est la transmission entre les meilleurs artistes et les étudiants. L’atelier du NCA est dirigé par Imran Qureshi qui est un des deux plus importants artistes pakistanais avec Rashid Rana. Voir de très grands artistes prendre le temps de former les nouvelles générations c’est vraiment l’image de ce que je pense que le monde de l’art devrait être en général, généreux. 

Je pense que cet état d’esprit s’observe chez de nombreux artistes contemporains pakistanais. C’est sans doute pour cela que leurs créations me parlent beaucoup. Je pense par exemple au travail de Waqas Khan, ou de Waseem Ahmed. 

Pourrions-nous en savoir davantage sur vos projets ?

Les projets au Louvre sont multiples. 

Le projet prioritaire est de restaurer la collection : c'est ce que j'ai entrepris depuis que je suis arrivé. A ce stade, on a atteint un niveau de restauration qui doit être de l’ordre de 90% de la collection qui est en bon état. Il reste une quarantaine de céramiques à restaurer, un petit nettoyage à faire sur les bronzes asiatiques de la collection Thiers et notre petit ensemble d’art graphique chinois.

Un travail particulier est à accorder aux albums, en particulier les albums d’exportation en tetrapanax. Le tetrapanax est un arbre dont on extrait la pulpe pour faire des feuilles, mais ces feuilles deviennent cassantes avec le temps. Dans les albums d'exportation, elles sont montées sur un papier de riz qui, lui, est beaucoup plus souple mais reste extrêmement fragile. Il y a donc tout un travail de démontage et de remontage individuel des feuilles pour les préserver. 

On peut compter qu’à l'horizon 2025 la totalité des collections asiatiques du musée aura été nettoyée, restaurée et documentée.

Que souhaiteriez-vous ajouter ?

Nous sommes à la recherche de mécènes. Nous souhaitons étendre la collection du département des Objets d’Art dans le domaine des œuvres asiatiques d’exportation faites pour l'Europe ou les œuvres issues du travail des marchands-merciers. C’est ce qui nous distingue du Musée Guimet qui s'occupe de l'Asie en Asie. 

Le Louvre est très désireux de continuer cette politique d’acquisition. Nous avons pu acquérir il y a quelque temps auprès de la galerie Nicolas Fournery notre première œuvre chinoise d'exportation depuis 1945 : une assiette du service de porcelaine de Chine pour le duc de Penthièvre. Nous souhaitons continuer en ce sens. 

Il est évident que le soutien des mécènes par le don d’œuvres ou par une aide à les acquérir est extrêmement utile. Nous sommes vraiment en attente de rencontres avec les mécènes potentiels, des passionnés d'Asie ou de ces rapports de l'Europe avec l'Asie. 

Notre département est un département de passion. Le goût de l'objet, qui se comprend aussi bien du point de vue asiatique que du point de vue européen, c'est le goût de regarder une surface, de regarder une matière. La passion pour le laque japonais ou la porcelaine chinoise sont des passions pour la matière autant que le décor. On a cette chance d'avoir des passionnés d’arts décoratifs qui collectionnent pour ce plaisir très particulier de la matérialité de l'objet. 

Nous espérons donc arriver à susciter un mécénat régulier pour des projets d'acquisition ou des dons. 

Assiette du service en porcelaine de Chine du duc de Penthièvre,

1734 / 1737 (2e quart du XVIIIe siècle),

Chine, atelier de Jingdezhen,

© 2022 Musée du Louvre / Hervé Lewandowski,

Voir

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