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Entretien

Autour de l'exposition Une passion chinoise, la collection de monsieur Thiers présentée temporairement à Paris, au musée du Louvre, du 14 mai au 25 août 2025 

Il est un fait méconnu : l’art chinois est bien présent au Louvre. Le musée conserve plus de 600 œuvres d’origine chinoise. De récents travaux ont mis en lumière celles de la collection Thiers, journaliste, historien, homme politique français du 19ème siècle. Rassemblant 170 œuvres datant majoritairement du 18ème et du 19ème siècle, l’exposition redonne une place centrale à la passion que Thiers avait pour la civilisation chinoise.

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Le commissaire, Jean-Baptiste Clais, nous fait l’honneur pour le Printemps Asiatique de Paris, d'un entretien.

Avec Jean-Basptiste Clais, conservateur en chef du département des Objets d’Art au musée du Louvre

Avant de commencer, pourriez-vous nous décrire en quelques lignes votre parcours ?

 

J’ai commencé par un cursus à l'École du Louvre en 1er cycle puis en muséologie. J'ai parallèlement mené des études d’ethnologie à l’Université Paris V, puis j’ai obtenu un doctorat d’anthropologie sociale et politique. Mon goût pour l’Asie s'est développé progressivement, d'abord via le Japon. Mon premier poste au Louvre était au département des arts de l’Islam où j’étais chargé de la collection d’armes et de l’art moghol (sur lequel je viens de publier un ouvrage codirigé avec Corinne Lefèvre aux éditions Citadelles & Mazenod). J’ai découvert le Japon en assurant le commissariat d’une exposition à Tokyo. Je menais alors parallèlement à mon poste des recherches d’ethnologie sur la pop culture contemporaine (jeux vidéo, mangas, dessins animés, science-fiction). Le Japon occupant une place très particulière dans ce domaine, assez centrale en fait, j'avais une familiarité avec l’Extrême-Orient. Aussi quand je suis arrivé au musée Guimet pour travailler sur la Chine, j’ai aussi mené des projets de pop culture japonaise. En 2017, j’ai intégré le département des Objets d'art du Musée du Louvre, où je suis récemment devenu conservateur en chef.

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© Jean-Baptiste Clais

Une exposition consacrée aux collections chinoises du musée du Louvre ! Voilà qui est inédit.

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Si l’on omet l’exposition que Jean-Paul Desroches avait présenté au musée du Louvre en 2011 sur la comparaison entre la Cité Interdite et le Palais du Louvre, c’est en effet la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale que nous présentons au public des collections chinoises appartenant au Louvre. En 1945, le département des Arts Asiatiques du musée du Louvre est dissous, et ses collections sont transférées au musée Guimet, devenu le musée national des arts asiatiques.

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Mais toutes les collections chinoises ne sont pas parties au Musée Guimet ?

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Tout à fait. Toutes les collections asiatiques ne disparaissent pas du musée du Louvre en 1945. Outre les œuvres indiennes du département des arts de l’Islam, le Louvre conserve au département des objets d’art deux collections restées du fait des conditions des legs : les objets chinois de la collection de la baronne Adèle de Rothschild et ceux de la collection d’Adolphe Thiers, premier président de la Troisième République. Toutes deux contiennent principalement pour l’art chinois des pièces d’époque Qing. La collection Thiers compte aussi des laques japonais, mais son ensemble chinois est bien plus important. Pour la première fois, nous présentons ces pièces dans une exposition qui contextualise leur collecte par Thiers.

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Calice Gu. Dynastie Qing ©GrandPalaisRmn (Musée du Louvre). Stéphane Maréchalle

Commençons donc avec Adolphe Thiers (1797-1877), et cette passion pour la Chine.

 

Son intérêt pour la civilisation chinoise débute à l’adolescence, bien avant qu’il soit une personnalité de premier plan. C’est probablement sa passion la plus sincère. Il utilise en effet plus généralement l’art comme un moyen de construire son statut social. Thiers est un ambitieux, il sert de modèle à Balzac pour créer le personnage de Rastignac. Thiers (1797-1877), est né à Marseille dans une petite famille bourgeoise. Il grandit sous l’Empire et suit avec passion la carrière de Napoléon. Écolier brillant, travailleur acharné, il fait ses études à Aix-en-Provence où il obtient un diplôme d’avocat.

 

Arrivé à Paris, il devient journaliste, et sera protégé par Talleyrand. Il se distingue surtout en devenant historien de la révolution. Il publie entre 1823 et 1827, une « Histoire de la Révolution française » en dix volumes, un succès de librairie considérable vendu à plus de 80 000 exemplaires. Il lui assurera des revenus conséquents. Le travail sur ce projet lui permet aussi de se créer un réseau important dans toute l’élite française et européenne qu’il consulte pour confirmer des informations. Acteur de la chute de Charles X, il deviendra ministre puis président du conseil sous Louis Philippe. C’est alors, dans les années 1830 qu’il commence à acquérir très activement pour constituer sa collection qu’il installe à l’Hôtel Dosne, place Saint-Georges, devenu sa maison à partir de 1833 à la suite de son mariage avec Elise Dosne.

 

Thiers est un personnage clivant, autant adulé que détesté.  Parvenu, vulgaire, immoral, corrompu et arrogant pour ses adversaires, il est pour ses soutiens, cultivé, orateur hors pair et d’un esprit pénétrant. Au demeurant même ses pires ennemis lui reconnaissent une intelligence hors norme.

 

Thiers passera sa vie à tenter de se faire reconnaître comme un réel amateur d’art. Il mène une politique de gloire tout à fait organisée à cet effet. Il utilise par exemple la page de garde de son livre : « Histoire du consulat et de l’Empire », pour se faire représenter dans son cabinet de travail aux cotés de ses œuvres d’arts. Ces lithographies figurent dans la première édition (1845) et la réédition (1865). Il suscite un nombre important d’articles à sa gloire flattant sans pudeur son goût et sa collection. Ces gravures de ces textes de propagande, si biaisés qu’ils soient, fourmillent d’informations sur l’état de sa collection avant la destruction de l’hôtel en 1871.

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Page album contenant 12 scènes diverses. Ye Chenxue. © GrandPalaisRmn (Musée du Louvre). Mathieu Rabeau

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Pot à pinceaux orné de l'Excursion à la falaise Rouge. ©GrandPalaisRmn (Musée du Louvre). Adrien Didierjean

Car finalement cette destruction pose un problème pour connaître la provenance de ces œuvres, en particulier celles venant de Chine ?

 

En effet. L’insurrection de la Commune en 1871, dont Thiers dirige la répression aura un impact considérable sur sa collection. Les Communards vont raser son hôtel particulier. Sa collection, saisie, est en grande partie détruite dans l’incendie des Tuileries où les communards l’avaient déposée. Tout ne disparaît pas. Thiers avait caché certaines œuvres, d’autres sont pillées avant la saisie par la commune et récupérées plus tard, d’autres enfin sont exfiltrées in extremis. Une grande partie de sa correspondance est en revanche détruite à cette occasion ce qui limite considérablement notre capacité à retracer la constitution de sa collection.

 

A partir de la presse et des rares documents survivants, on peut établir que ses collections chinoises sont constituées très tôt dès les années 1820, surtout à partir des  années 1830 et pour l’essentiel avant 1860. Léguées au Louvre en 1881, les œuvres de sa collection sont décrites dans un catalogue publié en 1884, rédigé principalement par Charles Blanc, historien d’art et fidèle de Thiers. Celle-ci comprend d’une part des antiquités égyptienne et grecque, de l’autre des collections de la Renaissance (terres cuites, bronzes, marbres, ivoires, verres vénitiens, ainsi que des copies de grands maîtres). Pour l’Asie (regroupant Chine et Japon), la collection se compose de : 17 peintures chinoises, 15 bronzes chinois et japonais, 15 émaux cloisonnés chinois et japonais, 30 agates, jades et pierres dures, 11 bois sculptés ou incrustés, 23 ivoires, 65 laques du Japon et enfin 106 porcelaines de Chine ou du Japon (dont 25 vases).

Adolphe Thiers est-il est un précurseur de la collection d’art chinois au 19ème siècle ?

 

Assurément son goût spécifique pour la Chine le distingue de ses contemporains. En 1831, il envoie cette lettre à Jean-Pierre Abel-Rémusat (1788-1832), titulaire de la chaire de langue et littérature chinoises et tartares-mandchoues au Collège de France : « J’ai depuis vingt ans une passion véritable pour les arts de la Chine, et j’ai fait ce que j’ai pu pour réunir quelques échantillons de ce que les Chinois savent faire ». Il développe donc cet intérêt très jeune, 1811, à Aix-en-Provence, à un moment où la France est de facto coupée de la Chine du fait des guerres napoléoniennes.

 

Thiers est d’ailleurs encore plus précurseur en ceci qu’il collecte d’une manière spécifique, à certains égards très moderne, non pas pour réunir des chefs d’œuvres mais pour dresser un panorama de la culture chinoise. Sa collection d’art est complétée de sa bibliothèque et des documents aujourd’hui conservés à la fondation Thiers. Il rassemble des livres sur tous les sujets de la vie en Chine, l’histoire, les porcelaines, le thé, les religions et pensées chinoises… Il collecte ouvrages illustrés, cartes, livres de géographies, œuvres représentant costumes, architectures, paysages chinois. Il voulait rédiger une histoire de l’art du monde où il aurait placé l’art chinois au même niveau que l’art italien. Ce projet ne verra jamais le jour. Il n’ira par ailleurs jamais en Chine, il renonce en 1829 à participer au voyage de Laplace qui l’y aurait amené. Il correspond avec un réseau considérable de personnes liées à la Chine : sinologues, voyageurs, militaires, diplomates, collectionneurs, missionnaires, antiquaires.

 

Parallèlement à la constitution de sa bibliothèque, il achète porcelaines, jades, laques, émaux cloisonnés et peintures auprès d’amis, au cours de voyages en Europe et bien-sûr dans les grandes ventes. On peut citer celle ayant suivi le décès de Chrétien-Louis-Joseph de Guignes (1759-1845), sinologue et interprète de l’ambassade de Hollande auprès de Qianlong. Notons un album de vues du Palais d’été, et un album chinois illustrant des vases de la collection impériale – aujourd’hui conservé à la fondation Thiers. Ce dernier provient de la vente de 1810 de Firmin Didot (1767-1836) qui, lui-même, le tenait de la dispersion du cabinet du ministre Bertin, l’un des plus grands collectionneurs en arts chinois de la fin du 18ème.

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Bouteille à décor de fleur et oiseau et de poème. Chine, Pékin, atelier impérial de la Cité interdite. Règne empereur  Qianlong. © GrandPalaisRmn (Musée du Louvre) Stéphane Maréchalle

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Immortels dans un paysage. Dynastie Ming, avant 17ème siècle © GrandPalaisRmn (Musée du Louvre) Mathieu Rabeau

La porcelaine chinoise semble être une passion pour lui.

 

Thiers est reconnu de son vivant pour sa connaissance de la porcelaine chinoise, sujet sur lequel il souhaitait écrire. Sa collection fait référence sur le sujet dans Paris. En 1851, l’éminent sinologue Stanislas Julien (1797-1873), successeur d’Abel Rémusat au collège de France en 1832, lui écrit pour l’obtention d’une subvention dans le but de publier sa traduction d’une histoire de la porcelaine chinoise. Il en relira le manuscrit. Il relira aussi les épreuves de l’ouvrage qui deviendra la référence dans le domaine, Histoire artistique, industrielle et commerciale de la porcelaine de Jacquemart (1862). Une pièce de sa collection est reproduite dans l’ouvrage.

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Vase couvert à pans coupés décoré de personnages. Dynastie Qing, période Yongzheng © GrandPalaisRmn (Musée du Louvre) Mathieu Rabeau

Pour parler de ce sujet si riche, à mi-chemin entre enquête historique, reconstitution d’un intérieur de collectionneur, et vie d’un sinophile, comment avez-vous conçu le parcours ?

 

L’exposition présente d’abord la personnalité de Thiers, sa carrière, la manière dont il présente ses œuvres dans son hôtel particulier, sa manière de promouvoir sa collection par la presse, son goût pour l’art de la Renaissance. Ensuite, vient son intérêt pour la Chine : sa bibliothèque chinoise, son intérêt pour la chine ancienne, ses liens avec les sinologues, voyageurs de son temps. Dans le prochaine section, intitulée : « Imaginer la chine », nous montrons comment il se fait une idée de cette culture à travers les peintures notamment. La présence de certains éléments clés de la culture chinoise dans sa collection est parfois inégale (les objets de lettrés sont sous-représentés), reflétant les limites de sa compréhension. La seconde partie de l’exposition présente les trois sagesses de la chine (confucianisme, taoïsme et bouddhisme), les collections porcelaines de Thiers avant de finir par les collections impériales..

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​Et justement, il semble que c’est dans cette ultime section que vous présentez une importante peinture impériale ?

 

La collection de peinture de Thiers était reconnue de son vivant comme percusseuse. Il possédait plus d’une dizaine de rouleau chez lui. C’était un des tous premiers collectionneurs de peinture chinoise en France. Son rouleau « puissants coursier » présenté au début de l’exposition est une des toutes première peintures chinoises décrites en France, dès 1856.

 

Mais c’est un autre rouleau qui compte ici : « Sur le Fleuve, le jour de la fête de qingming (qingming shanghe tu) », réalisée par Yao Wenhan pour l’empereur Qianlong, et comprenant un poème de sa main et tous ses sceaux. Long de 4,31 m, ce grand rouleau est une version réinterprétée de l’une des peintures les plus célèbres en Chine, composée par Zhang Ziduan (1085-1145) sous la dynastie des Song.

 

S’il n’est pas possible d’établir la provenance de l’ensemble des pièces impériales rassemblées sous cette section, les recherches m’ont permis tout de même d’avoir quelques précisions intéressantes. Thiers, opposé aux guerres de l’opium, semble avoir sciemment évité d’acheter des œuvres issues du sac du palais d’été en 1860. En effet, bien que présent à la vente des œuvres du colonel Charles-Louis Du Pin (1814-1868), il n’y achète aucun objet chinois alors qu’il achète des œuvres japonaises acquises au Japon par celui-ci. Bien trop souvent on attribue au sac du Palais d’été des empereurs Qing l’origine de pièces impériales arrivées dans les collections Françaises et Britanniques alors que leur sortie de Chine peut être plus ancienne et légitime. Ainsi deux peintures de la collection Thiers représentant des vues du Palais d’été, proches en style de l’album impérial pillé lors du sac, et aujourd’hui conservé à la Bibliothèque nationale de France, viennent de Charles Marchal de Lunéville. Ce dernier voyage en Chine entre 1851 et 1853. Elles ne peuvent donc pas provenir du sac.

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Le long de la rivière pendant le festival Qinqming.

(copie impériale authentique avec sceau de l'empereur Qianlong Dynastie Qing. période Qianlong. Yao Wenhan © GrandPalaisRmn (Musée du Louvre). Mathieu Rabeau

​Afin de donner un avant-goût à ce que découvrira notre public à l’occasion de la 8ème édition de juin prochain du Printemps Asiatique, parlez nous d’une oeuvre "coup de coeur".

 

Personnellement, j’ai une certaine affection pour un livre de Thiers sur l’architecture des Chinois dans lequel le bibliophile, Firmin Didot (1764-1836), a glissé des dessins de pierres de lettrés. Ceux-ci ont été réalisés en Chine par un atelier qui travaillait pour l’empereur et pour l’exportation en lien avec le Ministre Bertin le grand sinophile français du 18e siècle. Il y a quelque chose d’émouvant à voir surgir des pages de ce livre cette feuille dépliée figurant ces pierres délicatement représentées en couleur.

Pour plus d'informations: 

Une passion chinoise - La collection de monsieur Thiers

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Horaires d'ouverture:

lundi, jeudi, samedi et dimanche

9h-18h

mercredi et vendredi

9h-21h

fermé le mardi​​

Printemps Asiatique Paris

Du  5 au 14 juin 2025

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Les plus importantes galeries d’art et d’antiquités spécialisées, maisons de ventes aux enchères et institutions culturelles s’unissent pour rendre compte de la richesse des arts asiatiques et du dynamisme du marché français.

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