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La Société des Amis du musée Guimet fête son centenaire ! - Interview de Géraldine Lenain, sa présidente

Historienne de l’art, Géraldine Lenain a vécu la majeure partie de sa vie à l’étranger, de sa petite enfance en Afrique à son adolescence en Chine en passant par les Etats-Unis, et l’Inde, où elle vit actuellement. Directrice internationale chez Christie's en art d’Asie pendant de nombreuses années, elle a été, entre autres, la première experte occidentale au début des années 2000 à travailler dans une maison de vente chinoise (China Guardian à Pékin).

Géraldine Lenain est également auteure de deux biographies inédites à succès, "Monsieur Loo. Le Roman d’un marchand d’art asiatique" publiée en 2013 chez Philippe Piquier (Voir) et "Le Dernier Maharaja d'Indore" publiée en 2022 au Seuil (Voir).

 

Actuellement présidente de la Société des Amis du musée Guimet qui fête cette année ses 100 ans d’existence, cet entretien est l’occasion d’en apprendre davantage sur cette association centenaire et de revenir sur le parcours inspirant de Géraldine Lenain, résolument dédié aux arts d’Asie.

Cette année la Société des Amis du musée Guimet (SAMG) fête son centenaire, pourriez-vous nous présenter l’Association ?

J’ai l’honneur et le plaisir d'animer les Amis du Musée Guimet depuis cinq ans et d’être la 9e présidente depuis ses 100 ans d’existence ! Lorsque Olivier Gérard m’a remis le flambeau, je me suis aperçue qu'on avait 100 ans d'archives non exploitées. Une de mes premières missions a été de préparer ce centenaire.

Très sensible aux archives, j’ai constaté que ces documents inédits dans lesquels personne ne s'était plongé contenaient un certain nombre de questions laissées en suspens : comment la SAMG avait-elle été formée, par qui, pourquoi ? J'ai donc fait appel à Annick Fenet, (chercheuse, laboratoire AOrOc, École normale supérieure – PSL), pour raconter cette formidable histoire des Amis du musée Guimet.

Ce travail fastidieux a duré 3 ans ! Au cours de ses recherches, Annick Fenet s'est aperçue qu'en fait tout le monde s'était trompé sur la date de la création de l’association : ce n’était pas 1926 mais 1923.

Nous fêtons donc cette année le centenaire de la création de cette Société d'Amis qui a été fondée à la demande du conservateur en charge à l’époque, Joseph Hackin. Il souhaitait créer un groupe d'amis autour de l'équipe du musée, mobiliser des mécènes et des scientifiques capables d’aider le musée dans ses acquisitions.

Se forme alors un noyau dur composé du grand financier David David-Weill, du sanskritiste Emile Senart, de l'explorateur tibétologue Jacques Bacot, ou encore du sinologue Paul Pelliot.

Quelle est votre ambition en tant que présidente de la SAMG ?

Le rôle des Amis comprend deux volets :

Le premier, c'est rendre visible le musée à l'international. Ce n’est pas une société franco-française, on s'adresse au monde entier ; c'est-à-dire qu’on rend visible, on fait parler du musée Guimet partout dans le monde. Pour cela, des minis Sociétés d'Amis ont été créées aux quatre coins du monde.

Une antenne des American Friends of Guimet a été créée aux Etats-Unis en 2019 et une autre à Hong-Kong en 2022. Des ambassadeurs locaux y animent un groupe de mécènes passionnés.

Le deuxième rôle, c'est de soutenir le musée dans ses acquisitions et soutenir des projets de restauration. Les budgets des institutions françaises, n’étant généralement pas très importants, nous nous mobilisons dès qu'il y a un besoin particulier pour une œuvre ou pour un projet. Par exemple, nous venons de lancer aujourd’hui une souscription auprès du public afin d’aider le musée à acquérir un rare bronze tibétain du XVe siècle. Chaque don compte !  

En septembre dernier a été créé les Jeunes Amis du Musée Guimet, pourriez-vous nous en parler ?

La SAMG compte aujourd'hui 1500 membres. En septembre dernier, la création des Jeunes Amis du Musée Guimet qui marche très fort a apporté un renouveau.

Une des ambitions de la Société des amis est de transmettre, de penser à la suite. Il est primordial de transmettre dès aujourd’hui à cette nouvelle génération et les faire venir au musée, les faire participer à la vie du musée. On a créé cette carte des Jeunes Amis qui fonctionne un peu différemment de l’adhérent classique. Cette réunion de Jeunes Amis prend la forme d’une communauté : les jeunes parlent aux jeunes. La carte pour les moins de 35 ans est à 20 euros par an et donne accès aux mêmes avantages qu'un membre classique (accès au Musée Guimet gratuitement autant de fois que l'on veut toute l'année, ainsi qu’aux activités et vernissages). Ils ont en plus des activités qui leurs sont dédiées. Elles ne se déroulent pas forcément au musée : ils se retrouvent en communauté, dans des lieux très différents comme des ateliers d'artistes, des restaurants pour parler d'art d'Asie. Ce sont des passionnés d'art asiatique, principalement des étudiants.

Revenons un peu en arrière, pouvez-vous nous parler de votre parcours ? Comment est née cette vocation pour l'Asie ?

Je suis née à Madagascar, et j'ai vécu toute ma petite enfance en Afrique, j'ai donc été confrontée à des cultures différentes depuis que je suis née. J'ai compris que la différence était un enrichissement plutôt qu’une rupture.

A l'âge de 7 ans je déménage avec ma famille pour aller vivre à Hong Kong ou j'ai passé toute mon adolescence. Mon épanouissement culturel s’est fait avec l’Asie. J’ai vu une peinture Ming avant un Picasso : c’est la France qui m’a paru exotique, je suis beaucoup plus à l'aise avec l'art asiatique que l'art occidental. 

A l'âge de 16 ans, j'arrive en France et c'est un peu le choc . C'est une nouvelle culture, un nouvel environnement, qui s'ouvre à moi et assez naturellement le Musée Guimet devient un lieu de refuge, un lieu de réconfort qui me rappelait mes années d’adolescence heureuses passées en Asie. 

Mon lien avec le Musée Guimet est très ancien. J'avais 22 ans quand, étudiante en l'histoire de l'art à la Sorbonne, je faisais partie des petites mains du musée chargée de préparer le déménagement des collections en vue des travaux de réaménagement du musée.

Je travaille sur le marché de l'art depuis 25 ans en tant que spécialiste d'art asiatique. Il se trouve que je suis mariée à un diplomate donc, assez rapidement après mes études, j'ai suivi mon mari en poste. Cela fait 25 ans qu'on est entre les Etats-Unis, la France et l'Asie. J'ai commencé au cabinet Portier au milieu des années 90, avec Thierry Portier et son père Guy Portier. En 2000, j'arrive chez Christie's à New York dans le département d'art japonais en tant que spécialiste jusqu'en 2003. Je pars vivre ensuite à Pékin. A l’époque, les maisons de ventes occidentales étrangères n'avaient pas le droit de tenir le marteau en Chine continentale : je suis donc la première spécialiste occidentale à travailler pour une maison de vente chinoise. Comprendre les mécanismes de ce monde chinois n'était pas forcément facile. C’est certainement mon expérience la plus enrichissante parce que la manière de fonctionner était très différente de celle que je connaissais en Occident.

Après Pékin, on revient en France, à un moment où les maisons de vente étrangères viennent d'obtenir l'autorisation de tenir le marteau en France. La Maison de vente Sotheby's me demande de créer le département d'Arts d'Asie en France et de lancer ses premières ventes en 2007.

Après cette expérience, j’accompagne une nouvelle fois mon mari aux Etats-Unis, à Washington DC, de 2007 à 2010 où je travaille à la Freer and Sackler Gallery. Je suis alors chargée pendant trois ans de la plus importante collection de shin-hanga au monde : la collection Robert O. Muller.

De 2010 à 2015, je repars en Chine - à Shanghai - où je rejoins à nouveau Christie’s qui me demande de diriger à l’international l'art chinois. En 2013, Christie’s obtient la licence pour vendre en Chine continentale. J'avais alors deux casquettes : développer ce marché en Chine continentale et développer les ventes d'art chinois dans le monde.

En 2016 nous revenons à Paris où je continue chez Christie's, en tant que spécialiste internationale d’Arts d'Asie, membre du Chairman office.

Depuis 2019, je vis en Inde où je me consacre aux collectionneurs privés, aux institutions et à l’écriture.

Qu’est ce qui fait selon vous la particularité du musée Guimet ?

Le Musée Guimet conserve selon moi l’une des trois des plus belles collections d'Arts d'Asie au monde. Si vous me demandez quelle est la plus belle collection d'art chinois au monde, je vous dirais que c’est le Musée de Taipei mais ce dernier n’a que de l’art chinois, pas de Cambodge, pas d'Inde…

Guimet, c’est la plus belle collection d'art Khmer en dehors du Cambodge. C'est également la plus grande collection de textiles asiatiques au monde. Il y a eu des donations très importantes faites par des particuliers : la collection Grandidier pour les porcelaines impériales XVIIIe ou la collection Calmann pour les céramiques Song, ou encore la collection Krishna Riboud pour les textiles indiens.

La particularité du Musée Guimet, c'est d'abord son histoire ancienne et surtout la vision d'un homme hors du commun, Emile Guimet. Nous avons la chance d’avoir à nos côtés l’arrière petit-fils d'Emile Guimet, Hubert Guimet, qui est un administrateur actif et engagé. L’histoire avec le musée Guimet est une histoire d’amitié : une équipe formidable, unie et animée par un désir d’avenir.

Avez-vous un lien particulier avec une œuvre du musée Guimet ?

J’ai un faible pour un jade archaïque, à l’origine du logo des Amis. Ce jade est non seulement très particulier parce que c'est le logo de la SAMG mais c'est aussi un jade qui provient de C.T Loo, le plus grand marchand d’art asiatique de la première moitié du XXe siècle. Il a appartenu au Dr “Gieseler”, cet ingénieur et grand collectionneur du début du XXe siècle. C.T Loo l'a beaucoup aidé dans la formation de sa collection d'art chinois. La particularité de C.T Loo était de vendre des pièces qui n'étaient pas encore connues en Occident, même en Chine : le “véritable art chinois”, c'est-à-dire les objets produits en Chine pour les chinois, les bronzes archaïques, les jades archaïques, la grande statuaire... La collection Gieseler a été l’une des premières grandes collections de ce type formée par C.T Loo.

Plaque au dragon, Époque des Royaumes combattants (475-221 avant notre ère), Jade, 8,7 x 18,3 cm, Don Georges Gieseler, 1932, MG 18435

Long de 20 cm, ce jade qui représente un dragon de l'époque des Royaumes combattants, est actuellement exposé dans les salles chinoises du musée Guimet. C'est l'objet en tant que tel mais c'est aussi le symbole qu'il représente qui me fascine. C'est l’un des premiers jades archaïques qui arrive en Occident. Avant l'arrivée de C.T Loo, les Occidentaux collectionnaient plutôt des porcelaines d’export qui ne correspondaient pas nécessairement au “vrai goût chinois”. Il symbolise donc un tournant du goût occidental pour l'art chinois et le génie de ce marchand, C.T Loo, qui a su expliquer et faire aimer ces objets.

Votre dernier coup de cœur artistique ?

L'exposition qui m'a le plus marquée récemment : « Vagues de renouveau » à la fondation Custodia en 2018.

C'était une magnifique exposition de shin-hanga (ces estampes japonaises produites lors de la première moitié du XXe siècle), la plus importante exposition sur le sujet jamais organisée en Europe. Il s’agissait d’une collection particulière provenant des Pays-Bas et donnée par la suite au Rietberg Museum.

Quand on parle d'estampes japonaises, la plupart pense à la période d'Edo avec Hiroshige, Hokusai, Utamaro. On connaît moins la période de renouveau qu’a connu le Japon après l'époque Meiji dans la littérature, la musique et les arts appliqués. Ce nouveau mouvement est à la fois ancré dans la tradition (sujets classiques des paysages, des portraits féminins..) mais en même temps dans une modernité incroyable. Modernité en termes de mise en scène, de traits, de couleurs et de minimalisme.

“Vagues de renouveau”, Fondation Custodia (2018)

L'œuvre qui a marqué votre carrière ?

Le dragon Stoclet, désormais conservé au Louvre Abu Dhabi. C'est un bronze archaïque chinois provenant du Palais Stoclet à Bruxelles, il est iconique. Je suis très contente d’avoir réussi à le confier à un de mes musées préférés, le Louvre Abu Dhabi.

Dragon ailé, Chine du Nord, bronze, 48.5 x 67 cm, Louvre Abu Dhabi

L’ouvrage qui vous inspire ?

L'œuvre de Dominique Bona : j'aime beaucoup l'auteur, qui est vraiment dotée d’une

sensibilité artistique très profonde. C'est pour moi la plus grande biographe de notre temps.

Le livre par lequel je suis arrivée à elle et qui m'a énormément touché, que je relis

régulièrement tellement je le trouve poétique et délicat, c'est Clara Malraux.

Le sujet que vous rêveriez de traiter lors d’une prochaine publication ?

Je suis actuellement fascinée par Amrita Sher-Gil, cette artiste indienne de la

première moitié du XXe qui a introduit la modernité en Inde du point de vue artistique.

Tout me fascine en elle : sa personnalité incroyable, son parcours multiculturel incroyable, sa vie artistique si riche, et son œuvre incroyablement puissante. C'est une femme très libre d'esprit. Elle est considérée en Inde comme un trésor national, alors qu’en Occident, elle n'est pas très connue. Elle a pourtant fait ses études en France, aux Beaux-Arts, et je trouve qu'elle mériterait d'être davantage connue en Occident.

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