top of page

Monique Crick, ancienne directrice de la Fondation Baur et présidente de la SFECO

Historienne des arts de l’Asie, spécialisée en Chine ancienne, Monique Crick a dirigé de 2003 à 2017 la Fondation Baur, musée des arts d’Extrême-Orient à Genève. Présidente fondatrice de la Société Française d’Etudes de la Céramique Orientale (SFECO), nous aurons le plaisir de la recevoir lors de cette nouvelle édition du Printemps Asiatique à l’occasion d’une table-ronde sur la céramique organisée chez Tajan.

(1) Monique Crick_edited.png

Pour commencer, pourriez-vous décrire votre parcours ? Pourquoi cette spécialisation dans les arts asiatiques ?

Mon parcours est un peu atypique, il est fait de hasards dont j’ai su saisir les opportunités, certainement parce qu’elles me correspondaient. Je ne me destinais pas à entrer dans le monde des musées, bien que j’en étais une fidèle habituée et que l’art m’attirait depuis toujours. Je me souviens que la récompense demandée pour mon BEPC était un voyage à Paris pour visiter le Louvre. A l’époque, la Joconde était bien plus proche des visiteurs. Je me dirigeais en fait vers un doctorat et l’agrégation de Lettres Modernes, après une maîtrise en linguistique comparée à l’Université d’Aix en Provence. 

 

Mais je me suis mariée et j’ai suivi mon mari dans ses déplacements à l’étranger. Et c’est lors d’une résidence de quatre ans (1976-1980) à Balikpapan, alors petite ville entourée de jungle sur la côte est de Bornéo (Kalimantan, Indonésie), que j’ai découvert les céramiques chinoises, vietnamiennes et thaïlandaises dans les petites boutiques en bois des antiquaires locaux. Ce n’étaient évidemment pas des céramiques impériales mais simplement d’exportation. Sujet qui d’ailleurs, est devenu à la mode avec les découvertes d’épaves et la « globalisation »… 

Elles m’ont littéralement fascinée par leurs histoires de voyages, d’échanges, de coutumes locales, leur style libre. J’ai commencé à explorer ce monde qui m’était inconnu et quelques années plus tard je me suis inscrite à l’Ecole du Louvre avec, évidemment, une spécialisation en art chinois. 

 

Encore quelques années plus tard, en 1993, à un retour de l’étranger, je suis entrée comme chargée de mission au musée Guimet, dans le département Chine. Ce fut une excellente formation qui m’a beaucoup servi. J’y suis restée jusqu’en 1997, puis je me suis tournée vers l’archéologie sous-marine grâce à l’archéologue Franck Goddio qui menait des fouilles aux Philippines en partenariat avec le Musée National à Manille. 

J’ai eu la chance de pouvoir travailler sur les cargaisons de céramiques de plusieurs épaves et d’en préparer des expositions et des catalogues. C’était passionnant et j’en garde un souvenir ébloui. En 1998, j’ai pu réaliser, grâce à Gilles Béguin alors directeur du musée Cernuschi, un vieux rêve : celui de créer une Société d’Etude de la Céramique Orientale (SFECO), comme il en existait dans de nombreux pays. 

 

En parallèle, j’ai préparé un DEA (diplôme d’études approfondies) à l'Université Paris-Sorbonne. Puis en 2003, je quittais la France pour prendre le poste de direction à la Fondation Baur, musée des arts d’Extrême-Orient à Genève, jusqu’à ma retraite fin 2017.

Pouvez-vous parler du rôle que vous avez tenu à la Fondation Baur ?

Ma mission, en tant que directrice, était de faire entrer ce magnifique musée privé dans le XXIème siècle et de le faire mieux connaître. Il était resté jusqu’alors un musée un peu confidentiel, visité par des passionnés et des spécialistes. Nous avons donc eu, avec le soutien sans faille du Conseil, une politique d’ouverture avec de nombreuses expositions d’envergure et de céramistes contemporains, des scénographies très variées, des publications, des activités diverses pour différents publics, la transformation d’une terrasse en jardin japonais, la création d’un très beau site internet… Ainsi que des travaux de rénovation bien sûr ! 

En particulier, les salles Japon ont été entièrement repensées et refaites avec la création d’une pièce pour la cérémonie du thé en surplomb du hall ; et de nouveaux lieux d’exposition furent spécialement conçus pour les nombreuses donations.

Cette politique a été mené tout en respectant l’atmosphère intime si particulière de ce musée, comme le souhaitait son fondateur Alfred Baur.

Comment rend-on la céramique abordable auprès du public ?

C’est une question à laquelle on peut répondre différemment selon les pays. Certains pays  sont « céramiques » comme la Grande-Bretagne par exemple. L’Oriental Ceramic Society vient de fêter son centenaire ! Pour d’autres, je pense qu’il faut intégrer la céramique chinoise ancienne dans un contexte historique et culturel, il faut la raconter, la mettre en scène. Son histoire est étonnante et si variée. Mais personnellement j’apprécie beaucoup les expositions exclusivement céramiques qui permettent d’approfondir les connaissances.

Une œuvre en particulier vous a-t-elle marqué durant votre carrière ?

Les porcelaines bleu et blanc de la dynastie Yuan (1279-1368) par l’innovation, la richesse de leur décor et la liberté du pinceau du peintre. Une révolution culturelle fulgurante ! En particulier le grand plat du musée de Sèvres au décor foisonnant de pivoines, de chrysanthèmes et de lotus, chef-d’œuvre de leur collection chinoise (Voir).

Votre dernier coup de cœur artistique ?

Le vase Kan, offert récemment au musée Guimet par un ami, Richard Kan, mécène

hongkongais, par l’entremise de la Société des amis du musée Guimet (SAMG). C’est un grand vase meiping bleu et blanc datant de la dynastie Yuan, qui est maintenant exposé dans les salles.

Autrement, j’apprécie beaucoup la création céramique contemporaine sous de nombreuses formes (mais pas toutes…). J’ai récemment « craqué » pour une pièce de Pierre Bayle lors d’une vente aux enchères et des porcelaines bleu et blanc ainsi qu’à couverte céladon d’un céramiste contemporain chinois.

(2) vase yuan .jpg

Vase meiping, Chine, fours de Jingdezhen, Dynastie Yuan, vers 1330-1350, Paris, musée national des arts asiatiques Guimet, MA 13162, Achat avec le mécénat de M. Richard Kan, 2021

Votre musée favori ?

Pour les amoureux de la céramique chinoise des origines au XIVème siècle, je recommanderai d’aller au musée Rietberg à Zurich admirer la Collection Meyintang. C’est une collection fabuleuse créée par un collectionneur passionné que j’ai eu le privilège de connaître. Elle y est de plus très bien présentée.

 

En dehors de la Fondation Baur…, mon musée favori est l’Ariana, musée suisse de la céramique et du verre à Genève. Installées dans un cadre majestueux, les vitrines et leur présentation permettent d’appréhender et de comprendre les diverses expressions céramiques.

Un musée intelligent !

Une œuvre, un ouvrage qui vous inspire particulièrement ?

Si vous voulez parler de livres sur la céramique chinoise, je reste une fervente lectrice de Margaret Medley et de Daisy Lion-Goldschmidt qui ont fait un extraordinaire travail pour la connaissance de cet art, avec la documentation dont elles disposaient à l’époque. Elles savaient regarder les céramiques et cela se ressent dans leurs écrits.

Autrement, je suis assez éclectique dans mes lectures mais je reviens souvent vers les livres d’Albert Camus.

Pourrions-nous en savoir plus sur vos projets ?

Dans l’immédiat, continuer à développer la connaissance et l’appréciation de la céramique orientale grâce à la SFECO et ses partenaires, ainsi que mes recherches sur la céramique chinoise d’exportation, avec un projet de doctorat retardé par ma nomination à la Fondation Baur puis la pandémie… Si « la valeur n’attend pas le nombre des années », le nombre des années n’entache pas la valeur !

bottom of page